VOYAGER UTILE,
ou donner un sens à ses voyages !
Le mot voyage est synonyme de vacances, de repos, de
dépaysement, de farniente, de découvertes, de loisirs, etc...
Il est bien agréable, nest-ce-pas, après bien des
mois de travail, de changer les habitudes, de prendre son temps et même
de se donner du temps pour se ressourcer, se changer les idées
et les voyages peuvent éventuellement nous aider à «recharger
les batteries» pour mieux reprendre ensuite nos activités
trépidantes, que ce soit au travail ou à la maison. Depuis
1936, qui a vu lavènement des congés payés,
grâce à une lutte sociale sans précédent ou
presque, bien du chemin a été parcouru et tout ce qui touche
au tourisme relève maintenant dune véritable industrie
où de multiples formes de vacances sont proposées (à
la neige, à la mer, vers des destinations lointaines, en bateau,
en gîte, etc...). Même les retraités sont maintenant
très nombreux à partir en vacances et ceux-ci sont très
convoités par toutes les agences de voyages proposant des séjours
en tous genres. Tout cela relève, paraît-il, dun besoin impérieux pour beaucoup de profiter le plus possible des temps de loisirs pour, comme lon dit familèrement, «séclater» au maximum en consommant diverses formes de vacances très souvent proposées à la carte, sur un plateau, sans que lon ait besoin de bouger le petit doigt, sauf pour sortir le porte-monnaie afin de payer les prestations si goulument appréciées tout le long dun séjour de vacances. Les agences de voyages soccupent en effet de tout et ils vous concoctent un programme chargé, quil faudra respecter à la lettre et souvent au pas de course afin de pouvoir visiter les musées, monuments et autres paysages à vous couper le souffle !!!... Très souvent, à suivre un tel train denfer, vous reviendrez de votre séjour aussi fatigué quau départ. Vous vous serez souvent levés très tôt le matin en avalant votre petit déjeuner, puis on vous aura demandé de monter très vite dans le car pour le départ et vous savez déjà que, tout au long de la journée, vous allez avaler des dizaines de kilomètres. Vous vous arrêterez bien de temps en temps (pique-nique,
restaurant ou pause-pipi oblige !), mais ces haltes seront chronométrées
et il ne sera pas question de rester flâner un peu, de peur de prendre
du retard sur un programme déjà fort chargé. Serrés
comme des sardines, vous allez visiter des lieux très connus, symboliques
de la région ou du pays traversé. On vous interdira de dévier
du parcours initialement prévu, même si vous aviez lenvie
subite de sortir des sentiers battus afin de trouver un peu dinsolite,
dimprévu, ce qui vous permettrait davoir une approche
un peu plus réaliste et moins conventionnelle de la situation réelle
de la contrée que vous visitez. Parlons encore de ces vacanciers qui vont en famille, ou avec des amis, à la mer en été ou retrouver la neige bien poudreuse en hiver. Se moquant pas mal des conseils de «Bison futé» et partant tous le même jour comme des moutons que lon envoie en transhumance, ils vont être coincés dans des bouchons gigantesques sur les autoroutes bétonnées. Arrivés à destination, ils sentasseront par milliers sur les pistes enneigées, provoquant là-encore des bouchons et les inévitables accidents dûs aux skieurs «kamikazes», où sagglutineront lété sur des plages, à tel point que lon ne verra plus plus le moindre grain de sable ou le plus petit galet. Le stress sera encore une fois à son maximum, par manque despace vital, mais ces gens vous diront quils sont enfin détendus puisquils ont quitté leur travail et les soucis quotidiens; allez comprendre quelque chose !!!... Même si ce style de vacances stéréotypées convient à des centaines de milliers dindividus, et tant mieux sils y trouvent leur bonheur, on peut tout-de-même se demander sil nexiste pas dautres formes de vacances un peu plus enrichissantes, qui permettent à tout être humain de trouver un épanouissement et un enrichissement personnels, à travers des rencontres et des lieux dont il se dégage une âme et des odeurs exotiques que lon oubliera jamais. Lorsque lon choisit une destination lointaine et, qui plus est, un pays peu développé connaissant des problèmes économiques, sociaux ou politiques plutôt désastreux, il ne mapparaît pas forcément opportun de descendre dans un grand hôtel assez luxueux, avec piscine, dont on a vanté les qualités dans des catalogues et autres prospectus aux images allèchantes. Grâce à la bonne organisation de ces voyages,
on ne fera que transplanter ailleurs le confort moderne dont nous disposons
déjà chez nous. Mais tout ce déballage nous donnera
une fausse idée du lieu où nous nous trouvons et, même
si on se donnera bonne conscience en ayant limpression de faire
travailler le tourisme local, tout cela finalement laissera une étrange
odeur dindécence. Les îles paradisiaques des Tropiques
et ses hôtels avec vue sur des immenses plages, des cocotiers, cachent
hélas trop souvent une misère extrême quon ne
peut et ne doit pas décemment ignorer. Par contre, il est toujours
possible, grâce à des relations ou à des associations
pratiquant la coopération ou l'humanitaire, de voyager autrement
en cherchant à simprégner de la température
réelle du pays que lon a choisi de visiter. Même si
cest difficile et peut-être un peu risqué, la rencontre
des gens, à travers leurs coutumes, leurs difficultés, leur
façon de vivre, vaudra cent fois plus que tous les «paysages
de carte postale» que lon veut à tout prix nous vendre
pour étancher soi-disant notre soif de dépaysement, dexotisme. Lenrichissement personnel sobtient dans la découverte de l'autre à travers la diversité didées, de situations que lon croisera sur son chemin. Au lieu de se laisser prendre par la main pour embarquer dans des voyages «un peu trop bien organisés», ou encore de toujours sentasser dans des endroits à la mode (stations de skis ou vastes campings près des plages ensoleillées), ne faudrait-il pas parfois savoir sortir des fameux sentiers battus et rechercher ce qui pourrait provoquer chez nous de lémotion à travers des échanges entre individus ne vivant pas de la même manière, nayant pas la même couleur de peau, la même religion, la même vision de la vie ? Pour ne prendre que quelques exemples, les gens de la terre pourront nous faire découvrir lagriculture, la nature et sa diversité, ainsi que leur mode de vie. Les gens de mer nous apprendront le milieu marin avec sa rudesse, ses difficultés et ils vous feront partager cet esprit de liberté qui les habite lorsquils vous parlent de lhorizon qui se profile sur locéan. Tout cela, nous lavons à notre porte et il nest nul besoin de faire des milliers de kilomètres pour trouver cet exotisme fait de simplicité, de complicité, mais aussi damitiés qui souvent peuvent se nouer. Peu de gens, même sil en existe tout-de-même, partent ainsi à laventure sans autre projet que de rencontrer des personnes qui leur feront vraiment connaître la vie locale de leur région dans toute son authenticité. Pour goûter véritablement au dépaysement,
à loriginalité, il faut sans doute savoir partir vers
linconnu, sans itinéraire vraiment précis. Vous apprendrez
ainsi à pousser des portes pour partager des moments savoureux
avec des gens extraordinaires et chaleureux. Combien de gens pressés
traversent dune traite, en faisant des centaines de kilomètres
sans sarrêter, des régions dont on parle peu sur le
plan médiatique, pour aller sentasser comme des sardines
dans des lieux où tout leur sera fourni aux pieds de leurs logements
ou de leurs caravanes. Notre satanée société de consommation
nous pousse à longueur dannée à déguster
de la montagne enneigée, des stations balnéaires, des parcs
dattractions, ou des grandes destinations de rêve où
tout vous sera proposé à profusion, pourvu que vous ayez
un compte en banque bien rempli. Il faut sans doute y voir aussi limage
dune société actuelle où lassistanat
va très loin, jusquà organiser vos vacances à
votre place, comme si on savait à lavance ce qui est le plus
profitable pour vous. Pour en revenir aux voyages organisés, ne pourrait-on pas, entre amis ou même au sein des comités dentreprises envisager plus de jumelages avec des pays pauvres afin de concilier tourisme et humanitaire. Il serait en effet possible de se regrouper pour acheminer, en même temps que nos bagages, des produits de première nécessité pour des populations qui en manquent cruellement à cause dune pauvreté intolérable. On joindrait ainsi lutile à lagréable au lieu bien souvent daller se dorer au soleil à proximité de personnes qui vivent dans le dénuement le plus absolu. Ce genre dinitiatives permettrait encore une fois de nouer des contacts et de rendre dénormes services aux plus humbles. A travers les échanges sur place on apprendrait les traditions, une autre philosophie de la vie grâce à des façons dêtre et dappréhender les choses différentes. En un mot on voyagerait moins «idiot» et on ressentirait une énorme satisfaction de sêtre ainsi rendu utile dune manière ou dune autre. Croire que lon fait profiter économiquement
la population dun pays pauvre grâce au tourisme organisé
est un leurre car le personnel local, travaillant dans des hôtels
et autres résidences de rêves, est bien souvent sous-payé
et les conditions de vie de ces travailleurs de force sont très
rudes car leurs patrons veulent retirer un profit maximum grâce
à cette bénédiction quest le tourisme. En prenant
des contacts sûrs, grâce à des coopérants vivant
la réalité quotidienne de ces pays, vous aurez une image
différente des populations locales. Vous serez surpris, dérangés,
interpellés, mais votre voyage sera alors riche dexpériences
diverses qui vous permettront aussi de savourer la chance que vous avez
de vivre dans le confort et vous parviendrez peut-être à
relativiser vos soucis quotidiens souvent mineurs par rapport aux souffrances
rencontrées. Le voyage ne doit pas être systématiquement un acte de consommation individualiste où il faut égoïstement profiter, en toute insouciance, de tout ce qui nous est offert, même sil est bien légitime de décompresser pendant les temps de vacances. Voyager doit aussi servir à se rencontrer, à se rapprocher entre peuples pour mieux se connaître et sapprécier. Cest aussi découvrir, par la connaissance, la nature qui nous entoure pour mieux la défendre et non en profiter en ignorant volontairement sa fragilité et les agressions dont elle est souvent victime. Ce texte se veut une critique la plus objective possible dune certaine manière de voyager qui trop souvent tend à nier les aspects humains, culturels et traditionnels, au profit dune consommation à outrance de formes de voyages qui nenrichissent en rien celles et ceux qui les pratiquent. Voyager utile, me semble-t-il, cest revenir en ayant limpression davoir découvert quelque chose de pas commun dans des lieux inhabituels qui nous auront déroutés et fascinés. Cest aussi avoir rencontré des gens dans leur réalité quotidienne qui nous auront fait découvrir un peu plus ce que peuvent représenter les valeurs essentielles de la vie. Finalement, on se rendra compte quon aura aussi voyagé dans sa tête, quon se sentira peut-être grandi parce quon se sera rendu utile, rien quen discutant ou rien quen partageant nos différences. Voyager ainsi nest peut-être pas du goût de tout le monde, mais seulement faut-il au moins une fois sen donner la peine pour voir et appréhender les êtres humains et le monde en gardant les yeux émerveillés dun enfant qui sait apprécier des moments de bonheur simples, essentiels et si riches. Guy GILLET |