A-t-on
le même regard
sur toutes les souffrances de notre société !
Les réflexions cinglantes fusent de toutes parts : "Il y a quà les remettre aux boulots !", "Quils fassent des travaux dintérêt général au lieu de ne rien foutre !", "Et si ils géraient mieux leur budget, ils ne se mettraient pas dans une telle situation !", "Ils sont malins et savent bien se débrouiller pour bénéficier des aides publiques pendant que nous on bosse tous les jours pour les assister !", etc, etc Tous ces préjugés, que jentends souvent autour de moi et dans différents milieux, me désolent car, honnêtement, comment pourrait-on croire raisonnablement, en 2005, que les quelque 7 à 8 millions dêtres humains qui vivent dans la précarité, sont tous des profiteurs et se sont délibérément mis dans la galère. Jamais on se permettrait de lancer des propos aussi détestables
envers les handicapés, les adultes ou enfants souffrant dune
maladie quelconque. Au contraire, ils ne sont pas montrés du doigt,
marginalisés, en tous les cas beaucoup moins. La compassion et
la mobilisation à leur égard seront légitimement
instinctives. Je le constate d'ailleurs avec plaisir chaque année
lorsque notre équipe de bénévoles organise le Téléthon
dans ma commune. Alors, pourquoi faire
une telle discrimination en sattaquant ainsi aux pauvres qui ne
demandent que notre aide pour sen sortir ? Non, ces jugements, ces accusations gratuites, qui font
parfois mal au coeur au modeste responsable-bénévole que
je suis aussi auprès des plus défavorisés, sont finalement
une bonne parade pour se donner bonne conscience et ainsi ne pas être
dérangé par ceux qui voudraient éventuellement nous
faire voir la misère de plus près. On ne souhaite pas être
ébranlé dans nos fausses certitudes qui nous arrangent si
bien. On préfère alors, pour donner du poids à nos
arguments, citer un tel ou tel autre en exemple, que lon croit connaître
et qui profiterait soi-disant bien gentiment de la société
et quil ne faudrait surtout pas plaindre. Ce refrain, imparable
et désarmant, je le lai maintes fois entendu et je suis impuissant
devant une telle parade qui veut me signifier surtout que je ne dois pas
parler régulièrement de ce problème. Et pourtant, la pauvreté est bien là, à
notre porte, mais on ne désire pas la voir en face parce quelle
est source de bien des questionnements sur notre société
malade à cause dun individualisme forcené. La misère
remet en cause notre insouciance, notre confort, notre quiétude,
notre façon de vivre tout simplement.
Il suffirait pourtant et jencourage tout le monde à le faire,
de franchir au moins une fois la porte dune association humanitaire
pour se rendre compte de toutes les misères sociales daujourdhui.
Elles sont si nombreuses et complexes.
Non, lêtre humain nest pas un robot quil
suffirait de remettre au boulot pour que cela aille mieux, quand boulot
il y a !
Lorsque vous venez de perdre un être cher, ou de
vous retrouver au chômage avec des dettes, ou que vous venez de
traverser une longue période de maladie, ou que vous avez vécu
dans la rue depuis 3 ou 4 ans, ou encore que vous avez dû quitter
votre domicile avec vos enfants parce que votre mari vous battait et que
vous êtes "cassé" par la vie, etc
, on ne
peut pas décemment vous accuser de profiter dun système,
de vivre à son crochet. Combien de personnes ont en premier lieu
besoin de réconfort moral, de soutien psychologique, de suivi sur
le long terme pour sortir de la dépression, de la solitude, de
lalcool, de la drogue
? Pensons à nos jeunes
quil ne faut pas juger mais plutôt aider parce que nous ne
pouvons rester indifférents devant leur suicide et toutes les violences
quils se font à eux-mêmes. Leurs cris de désespoir
sont souvent des appels à donner justement un peu plus de générosité,
d'humanité dans une société qui perd son âme
! Oui, pour finir, la pauvreté est bien là
et nous aurons beau nous inventer des excuses ou avancer des idées
reçues imbéciles pour ne pas la voir ou la minimiser, elle
nous reviendra toujours en plein visage comme un boomerang.
Personnellement, je ne peux pas lutter contre la mauvaise foi, surtout
que jy succombe aussi parfois, mais je lance un appel, dans mon
petit coin, pour quon sorte enfin la tête du sac pour affronter
tous ensemble cette misère insupportable aujourdhui. Durant
le terrible hiver 1954, labbé Pierre avait lancé un
appel à la radio pour créer un choc dans lopinion,
parce que des gens risquaient de mourir de froid en grand nombre. Il y
avait eu une réaction, une prise de conscience et enfin de lengagement.
Aujourdhui, plus de 50 ans après, la pauvreté na
peut-être jamais été aussi grande et elle se décline
sous de multiples formes. Alors oui, portons
un regard responsable et non fuyant sur une réalité humaine
terrible et incontestable devant laquelle nous devons nous sentir concernés,
sinon nous risquons de tuer lespérance et lhumanisme
pour demain, merci ! Guy GILLET |