Comment, en additionnant des pauvretés,
peut-on créer de la richesse pour tous ?


Un vieux sage, recevant chque jour chez lui des visiteurs venant de tous horizons, prodiguait des conseils aux personnes qui n'étaient pas heureuses dans leur vie. Parfois, ses recommandations influaient positivement sur ces êtres désespérés. Mais trop souvent, ceux-ci revenaient sans cesse se plaindre de leur sort en maudissant le fait qu'ils ne pouvaient pas s'en sortir. Le vieux sage se rendait compte qu'il ne pouvait les rendre heureux malgré eux, que leur bonheur ne pouvait nullement se décréter par des résolutions à suivre, si bonnes soient-elles.

Celui-ci, se rendant compte que son influence avait des limites, se décida à faire une petite expérience en réunissant un échantillon de ces pauvres bougres qui traînaient leur misère. Au rendez-vous fixé, arrivèrent un aveugle, un jeune sourd en fauteuil roulant, un SDF, un veuf possédant un gigantesque manoir, un réfugié ayant débarqué d'un pays lointain et un chrétien ayant perdu la foi. Le vieux sage les réunit dans la même salle en leur demandant de raconter leurs malheurs devant tous les autres.

L'aveugle se mit à parler le premier en confiant son désespoir de ne pas voir, d'être en quelque sorte coupé du monde puisqu'il n'osait pas sortir de chez lui avec sa canne blanche de peur de subir l'agression d'un monde qu'il jugeait hostile, dangereux. Le jeune sourd en fauteuil roulant, seul lui-aussi, pouvait difficilement circuler et ne pouvait capter aucune conversation, aucun bruit, de ce fait il restait cloîtré chez lui à se morfondre. Le SDF était toujours dehors bien-évidemment, car la rue était sa maison, son terrain de jeu. Du monde, il en voyait passer, disait-il, mais jamais personne ne s'arrêtait près de lui pour s'intéresser à son sort. Il ne voyait plus de sens à sa vie.

Quant au veuf, riche et propriétaire d'un grand manoir, il tournait en rond, disait-il, dans sa gigantesque demeure car il n'avait plus de famille, plus d'amis. Un peu avare, il se plaignait que son manoir coûtait cher en entretien et que cela pesait sur sa fortune. L'étranger, qui avait fui son pays et demandait l'asile, était rejeté par tout le monde parce qu'il était différent et surtout pas du pays, personne ne voulait l'accueillir. Quant au chrétien sans véritable foi, il avait beaucoup prié dans sa vie. Il était honnête et avait toujours été à la messe, mais quelque chose s'était cassé en lui qu'il pouvait difficilement expliquer.

Après que tous aient raconté leurs malheurs, le vieux sage leur dit qu'il ne pouvait plus rien pour eux et il se leva pour quitter la pièce. Avant qu'il ne ferme la porte, il leur précisa simplement qu'à eux tous ils pouvaient sans doute résoudre les problèmes de chacun, mais qu'il fallait pour cela qu'ils réfléchissent ensemble pour ne pas repartir encore une fois dans la désespérance et la solitude. Désemparés devant l'attitude du sage, ils se regardèrent un peu étonnés, en se demandant ce qui leur arrivait. Incroyable, ce sage les laissait là devant leurs responsabilités.

Puis, après un temps de réflexion, l'homme sourd sur le fauteuil roulant se mit à sourire en s'adressant à l'aveugle : "Si tu me donnais ton adresse, je pourrais venir te visiter et nous sortirions ensemble, je serais tes yeux et tu serais mes oreilles !" Le riche veuf s'adressa au SDF en lui disant qu'il était bien seul dans son grand manoir et qu'il se proposait de le loger pour l'aider à sortir de la rue. "Mais au fait, je pourrais aussi t'accueillir, toi l'étranger qui est rejeté par tous !" dit encore le veuf qui avait retrouvé du soleil dans les yeux. Le chrétien, qui ne voulait pas être en reste, se proposa d'aider les deux personnes handicapées dans leurs tâches quotidiennes, tout en se rappelant que le Dieu en lequel il croyait, demandait aussi d'accueillir le pauvre ou l'étranger. Il se disait que c'était peut-être le chemin à suivre pour retrouver la foi. Le réfugié proposa aux autres de faire découvrir sa culture, ses traditions, son mode de vie, sa langue et l'histoire de son pays, dans le but d'initier ses nouveaux amis à la différence.

Au fil des semaines, des mois qui suivirent, tous ces hommes si malheureux par le passé, continuèrent à se cotôyer, à s'entraider malgré leurs conditions sociales si différentes. Le vieux sage savait désormais qu'il ne les reverrait jamais plus et il en était content au fond. En s'effaçant, il avait ouvert les yeux de ces personnes en leur faisant découvrir leurs talents respectifs qu'elles pouvaient mettre au service de l'autre pour créer de l'amitié et un esprit de famille. Oubliant leurs propres pauvretés, ces hommes étaient devenus avant tout riches de coeur en se donnant de manière désintéressée à l'autre. La fraternité devait maintenant les réunir à jamais ! Notre monde actuel a sans doute besoin d'une telle transformation à grande échelle pour devenir vraiment humain, il suffit que chacun d'entre nous veuille bien y croire un peu plus ! Si on commençait aujourd'hui, qu'en pensez-vous ?

Guy GILLET

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