Changer mon regard pour changer ma vie,
quelle idée de "fou" !

 

La résignation, le scepticisme, l'abattement, l'indifférence, le désespoir, le repli sur soi, le fatalisme, la peur, etc..., tous ces sentiments négatifs, entretenus par un environnement peu propice à l'optimisme, font que je n'ai pas un regard qui sent la joie de vivre. Entraîné dans un tourbillon médiatique où tous les malheurs du monde me sont présentés chaque jour à la télévision ou ailleurs devant mon regard blasé, je ne réagis plus ou plutôt je m'enferme dans une sorte de léthargie coupable en me disant que décidément ce monde devient vraiment de plus en plus inhumain. Pourtant les évènements "glissent" sur moi sans avoir de prise, je m'en rends bien compte.

Mais je n'y crois plus et je mène une vie insipide où les préoccupations journalières, travail, famille, loisirs, consommation..., me font oublier un temps mon mal-être, cette étrange sensation que je ressens mais que je ne veux pas m'avouer au plus profond de mon âme. Au fond, je ne fais rien de mal et je vis tranquillement comme les autres, pris dans la tourmente de mes activités, c'est sans doute cela qui me fait oublier le reste, c'est-à-dire le monde que je ne veux pas regarder en face parce que l'avenir me fait peur. Tout va si vite aujourd'hui et tout est aussi si incertain !

Les menaces sont de divers ordres ce qui remet en cause mes certitutes et surtout ma tranquilité. Je ne peux affronter tous ces tourments, tous ces périls, même s'il m'arrive d'en parler autour de moi, avec des amis, la famille ou au travail, et parlons-en du boulot justement que je ne suis même plus sûr de conserver, que vais-je devenir ? Lors des discussions, je rencontre parfois de rares "fous", ils ne sont vraiment pas nombreux, qui croient encore que tout est possible à partir du moment où l'on se sent bien vivant et prêt à se battre pour une idée, une valeur fondamentale. Je les entends bien mais sans les écouter et je continue de m'enfermer dans ma tour d'ivoire en zappant volontairement les enjeux fondamentaux de notre société qui me fait toujours aussi peur.

Je ne veux pas franchir le pas indispensable qui me permettrait sans doute de réagir, de prendre partie, de m'engager et au final m'aiderait à exister au plein sens du terme. Je ne veux pas voir celui qui m'appelle parce qu'il a besoin d'un coup de main pour s'en sortir. Je me méfie de l'étranger que je ne veux pas accueillir parce qu'il va bousculer mes certitudes, mes habitudes de vie, en un mot ma tranquilité qui ressemble fort à une petite mort, même si encore une fois je ne veux pas me l'avouer. La violence extrême qui agite ce monde me fait peur, mais je trouve toujours aussi normal que l'on continue à fabriquer des armes si sophistiquées et si destructrices. Ces "fous" me disent justement de me lever pour dénoncer la barbarie, l'injustice, l'inhumanité, mais décidément mon regard reste figé sur le néant de ma vie, ce qui fait que je ne suis pas tout-à-fait heureux à cause de l'angoisse de l'avenir.

Et pourtant, dans ma tête, je refais mille fois le monde et je me surprends parfois à l'idéaliser comme pour conjurer un quotidien morne, fade où le rêve est exclu. Et toujours ce "fou" qui m'obsède avec ses idées de partage, de non-violence, de non-discrimination, oui ce "fou" qui me parle aussi de citoyenneté mondiale pour dépasser les clivages nationalistes, politiques ou religieux. Parfois, je l'engueule parce que je ne veux plus l'entendre car il me dérange tellement parce qu'il ne se contente pas de refaire le monde avec de beaux discours. Non, ce "fou" s'engage sur le terrain de manière concrète, ce que je ne fais pas. Moi, au contraire, je persiste à penser que ce n'est pas possible, que l'avenir est bouché et que nous devons subir en silence et surtout ne pas nous autoriser à espérer, à quoi bon !

Moi, je ne veux pas être "fou", mais rester raisonnable, bien cartésien, même si ma vie ne prendra pas le moindre relief. La lueur d'espoir qui brille dans les yeux de ces "fous", il y a longtemps qu'elle s'est éteinte chez moi. Je suis dans la norme, au sein d'une majorité silencieuse, qui déplore l'inhumanité de notre époque mais qui ne bougera pas le petit doigt pour changer les choses, de toute façon il paraît que c'est trop tard ! Alors ces "fous", je les laisse passer leur chemin sans les accompagner, ne serait-ce qu'un peu, je ne veux en aucun cas les laisser changer mon regard sur les choses, sur les évènements. Pensez-donc, ils sont dangereux ces "fous", ils seraient capables de changer ma vie si je les écoutais et moi je n'en ai nulle envie. Je continue ma route bien droite, bien tranquille, bien confortable et je garde mon regard figé qui fait que je reste aveugle et sourd aux cris d'espérance lancés par ces "fous" de passage qui me permettraient pourtant de renaître à la vie, d'aimer, de donner, d'être un humain bien VIVANT !

Guy GILLET

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