Les grilles de la honte !!!.......

A 56 ans, je croyais avoir tout vu dans ma pauvre vie ! Mais non, il faut croire que le pire peut être toujours devant nous et on se dit que décidément la connerie et l'indécense n'ont pas de limites. Que n'ai-je appris !!!...... qu'à Angoulême, le maire avait décidé, la veille de Noël en plus, de mettre des grilles de protection autour de bancs publics pour empêcher les SDF de s'y asseoir ou de s'y allonger parce qu'ils dérangeaient, à cause de leur comportement, paraît-il outrancier, les commerçants et les gens de la bonne société du coin. N'y tenant plus, aussi con que le maire que je suis, j'ai, comme bien d'autres, habitant cette ville ou de plus loin en France, réagi à ma façon en envoyant un petit message à cette municipalité "si bienveillante" envers les plus démunis. Il paraît que le maire a décidé depuis, devant la vague de protestations en tous genres, de retirer ces grilles provisoirement pour, peut-être plus tard, les remettre en les remplissant de galets pour apporter une certaine esthétique dans le quartier de la ville en question.......... on croit rêver, quand je vous dis que la connerie n'a pas de limites !

Ce triste fait d'actualité est le reflet hélas de l'état d'esprit de beaucoup de personnes à l'égard des SDF ou des pauvres en règle générale, que ce soit à Angoulême ou ailleurs. On ne veut pas les voir près de chez nous, dans notre quartier, ces miséreux qui font "tâche" dans le paysage urbain............. pensez-donc, pas de çà chez nous, qu'ils aillent galérer ailleurs ces pauvres types si mal habillés et qui déambulent parfois avec leurs chiens, c'est qu'on pourrait se faire mordre mon pauvre Monsieur !!... Et dans les discussions entre gens de la bonne société, combien de fois ne dit-on pas que ces types sont des bons à rien, des déchets de la société, que certains boivent et nous insultent en plus, qu'ils encombrent nos trottoirs et que nous ne pouvons plus passer pour aller faire nos courses chez les bons commerçants de la ville. Il faudrait sans doute, non pas monter des grilles sur les bancs publics, mais mettre ces types dans des camps à l'extérieur de la ville et on pourrait ainsi recréer les trop fameuses "cours des miracles" qui existaient au temps de la royauté, comme cela tout le monde serait tranquille, serein et bien au chaud dans sa maison.

Je crois au final que ce qui nous dérange au fond, c'est bien cette pauvreté qui dure depuis près de 30 ans à notre porte et qui ne fait que s'amplifier, on trouve même des femmes avec leurs enfants dans la rue à présent, mais qui s'en soucie, je vous le demande ! On ne connaît pas leur vie et pourquoi ils ont fini à la rue, mais on les méprise d'avance car, au fond, ils dérangent notre conscience, notre vie tranquille, même si on n'ose pas se l'avouer finalement. Alors, pour régler le problème définitivement, dans l'indifférence la plus coupable qui soit, nous mettons tous ces pauvres dans le même sac en les traitant de bons à rien, de pauvres types, c'est si facile et si rassurant, même si, au fond de notre âme, nous savons bien que ce n'est pas aussi simple et que ces types justement, ont connu une terrible descente aux enfers à cause de dettes, du chômage, d'une séparation, de la maladie, du rejet de la famille, etc... Mais nous ne voulons surtout pas connaître leurs histoires de vie et on les laisse crever dans une solitude extrême qui fait bien plus de dégâts que le froid de l'hiver qui remet bien souvent les SDF à la une de l'actualité dans les médias, histoire de faire le "buzz". On oublie seulement que les SDF crèvent aussi en été parce que justement nous les laissons s'enfoncer dans une abîme sans retour.

Après avoir quitté le Secours Catholique de ma commune de 3500 habitants, après 8 ans de responsabilités, j'ai été 3 ans à Vannes, pour le compte de Saint Vincent de Paul, afin de volontairement les connaître ces SDF qui survivaient dans ma ville natale. Avec les jeunes de l'asso, nous allions leur servir la soupe le soir lorsqu'ils étaient logés dans les mobile-homes mis à disposition par la Mairie près de l'hôpital, ce dispositif existe toujours d'ailleurs. Mais surtout, nous avions créé, avec ces jeunes bénévoles formidables, une permanence d'accueil avec petit-déjeuner et colis alimentaire le samedi matin au siège de l'asso, car je m'étais aperçu justement que beaucoup de structures étaient fermées le week-end. Tout cela pour dire que ces SDF de la rue, nous prenions le temps de les écouter et, croyez-moi, ils ne sont pas des pestiférés, mais avant tout des êtres humains à part entière qui ne demandent qu'un peu de chaleur humaine et de considération. Leurs histoires de vie sont toutes différentes et ils ne se sont pas retrouvés à la rue, par choix délibéré comme on l'entend trop souvent (encore une idée reçue imbécile qui arrange bien la conscience de tout le monde !), mais bien parce que leurs existences ont basculé parfois du jour au lendemain alors que certains avaient une belle situation. On se rend compte alors que cela peut arriver à tout le monde et l'alcool, que certains ingurgitent, (pas tous loin de là, encore une idée reçue !), est une béquille leur permettant d'oublier leurs conditions de vie et leur solitude, car la rue est une jungle sans pitié, il faut le savoir !

Pour finir, il est sans doute temps qu'on enlève les grilles que nous avons dans nos consciences, lesquelles nous séparent encore de ces gens de la rue car notre société, depuis longtemps, entretient trop une indifférence coupable envers les pauvres et même, ce qui est pire, une haine envers des personnes que l'on qualifie bien souvent de ratés, de déchets, les mots ne sont pas trop forts. Une société qui ne sait plus se tourner vers les plus fragiles et qui préfère bien souvent se noyer dans un activisme rassurant mais ridicule, dans une consommation ou une insouciance outrancières, peut se poser bien des questions quant à son avenir. Nous ne serons pas jugés dans l'avenir sur ce que l'on possède, et qui nous sera de toute façon enlevé le jour de notre mort, mais plutôt sur notre capacité à donner à l'autre de manière désintéressée. Il est sans doute temps de poser, non pas des grilles entre individus, mais des ponts qui permettront de retrouver l'Espérance et un sens à l'existence. Je dis souvent que nous avons la société qu'on mérite et, à une époque où tout le monde se plaint de ceci ou de cela de manière un peu déplacée, il est sans doute temps de nous retourner pour se rendre compte que nous ne sommes pas les plus malheureux et ainsi pourra-t-on espérer demain un monde un peu moins égoïste et donc plus juste. Parfois, j'ai honte de moi, mais aussi de nous tous, car nous sommes en train de passer à côté de ce qui représente l'essentiel dans une vie et nous bâtissons hélas une société superficielle et si pâle. Mais j'ai peut-être tort de penser cela, alors à nous tous de prouver le contraire si nous en avons encore l'envie au fond de nous-mêmes pour ne pas avoir de regrets, d'autres bonnes volontés se mobilisent bien déjà après tout pour effacer l'insupportable, chiche !!!....


Guy GILLET (écrit en 2014)

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