Pour la mémoire d'Anna Politkovskaïa et
celle de tous les autres qui ont subi le même sort !


Hélas, encore une combattante de la liberté, de la justice vient de tomber sous les balles ! Elle ne fait qu’allonger la liste interminable des journalistes d’investigation ou des reporters de guerres qui sont morts pour faire éclater la vérité. Cette femme russe, se sachant menacée, continuait cependant de dénoncer la barbarie de la guerre en Tchétchénie, mais aussi et surtout la corruption du pouvoir russe et on avait déjà tenté de l’empoisonner. Dans le même temps, on ne peut s’empêcher de penser à Ingrid Bétancourt, prisonnière des FARC (rebelles colombiens) depuis des années. Elle aussi, dans son combat politique contre la corruption en Colombie, a payé le prix fort même si son enlèvement semble davantage relever du chantage crapuleux que d’une sanction purement idéologique, même si tout apparaît étroitement lié.

Depuis des siècles, combien de centaines, de milliers d’êtres humains, connus ou anonymes, ont été enlevés, torturés, tués pour avoir osé défendre des valeurs fondamentales et les femmes ont bien été souvent les premières à en payer le prix fort. La vérité, la justice, la liberté, l’égalité des droits ne font pas bon ménage avec le totalitarisme, l’extrémisme, les intérêts financiers, les magouilles en tous genres. Cependant, si on élimine impunément les défenseurs des droits fondamentaux de la personne humaine, on ne peut tuer les idéaux ancrés dans les consciences. Ceux-ci se transmettent de génération en génération et il y a toujours quelqu’un, un peu partout dans le monde, pour reprendre courageusement le flambeau de la liberté de penser. Anna et les autres ne sont pas morts pour rien et les bourreaux ne triompheront jamais à terme en employant une force impitoyable et destructrice, il faut qu’ils le sachent pour qu'un jour le massacre cesse.

Le fanatisme religieux, l’aveuglement politique ne sont que le reflet de la vanité, du pouvoir absolu et de la négation de la différence d’où qu’elle vienne. Des groupuscules ou des Etats ont toujours tenté, sur un temps donné, de s’accaparer du pouvoir par la force pour assouvir leurs désirs de grandeur, de richesse ou pour endoctriner les individus en les amenant dans des aventures désastreuses à terme. Mais, à travers toutes les époques et encore aujourd’hui, il existe des forces démocratiques, prônant l’humanisme, le respect et la liberté de toute personne, que l’on ne peut pas éradiquer définitivement. Les armes ne peuvent rien contre la pensée et l’homme a une telle soif de vivre libre qu’il finit toujours par briser les chaînes qu’on veut le forcer à porter. Finalement, le choix est toujours le même pour chacun d’entre nous ; doit-on se taire, se résigner devant l’inacceptable et vivre en courbant l’échine ou alors se lever pour crier sa colère, dénoncer l’injustice, au risque de tout perdre, même la vie ?

La réponse, Anna l’avait donné quelques mois avant sa mort lorsqu’on lui avait demandé pourquoi elle menait ce combat risqué en Russie. Elle avait simplement répondu qu’elle redoutait que plus tard ses enfants ou petits enfants lui reprochent de n’avoir rien fait pour lutter contre la corruption et la barbarie. Cela ne l’empêchait pas d’avoir peur tous les jours mais elle dépassait ses angoisses légitimes pour défendre une cause juste et universelle. Même si je ne connaissais pas cette personne, je suis ému et admiratif devant Anna, cette femme qui a montré au pauvre homme que je suis, ce que pouvait être le courage et l’amour désintéressé pour les autres. Là où elle est actuellement, je la salue bien bas en lui disant que d’autres continueront sur terre de se lever pour chasser la tyrannie sous toutes ses formes.

Quant à nous justement, même si fort heureusement nous ne sommes pas obligés de payer de notre vie le fait de mener certains combats, nous devons là où nous sommes lutter contre toutes les formes d’injustices et Dieu sait qu’il y en a partout dans le monde et même à côté de chez nous. Il faut savoir parfois dépasser nos peurs, nos égoïsmes pour s’engager pour des causes justes. La sauvagerie, le racisme, le délit d’opinion, la violence, l’extrémisme gagnent du terrain lorsque nous fermons les yeux en nous cachant, en sauvant notre peau. Au nom du bien commun, je me dois, nous nous devons, même si cela n’est pas sans risque, de dénoncer ce qui est contraire aux droits les plus fondamentaux de la personne humaine pour offrir à nos enfants, à nos petits enfants une société qui garde un visage humain.

Pour finir, n’oublions jamais que des milliers de personnes sont mortes pour sauver notre liberté de penser ou d’aller et venir aujourd’hui. Ces libertés fondamentales, nous avons le devoir de les transmettre intactes à notre tour aux futures générations et c’est sans doute ce qu’Anna, à travers le sacrifice de sa vie, vient nous dire aujourd’hui à nous autres citoyens de ce monde très malmené. Que jamais bien-entendu, nous ayons à nous retrouver dans la situation d’Anna, mais que jamais non plus nous ne reculions devant nos responsabilités le moment venu. Pour ma part, si je tente ici de défendre des idéaux humanistes, honnêtement il convient cependant de vous avouer que je ne possède sans doute pas le courage d’Anna pour affronter certaines circonstances plus que délicates. Qu’elle me le donne, non pas pour me glorifier de manière héroïque, mais bien pour défendre l’essentiel, c’est à dire l’amour et la liberté, les deux priorités de la vie !

Guy GILLET